Le verdict est tombé. Hier, la cour d'appel de San Francisco a tranché et décidé de ne pas condamner le groupe de rock Led Zeppelin. Accusé d'avoir plagié la musique «Taurus» de Spirit dans son mythique titre «Stairway To Heaven», Jimmy Page & Co sortent finalement vainqueurs de cette lutte judiciaire. Le dénouement d'un procès qui aura commencé en 2006 et qui pose une nouvelle question : Le sample est-il officieusement sanctionnable dans le rock ?
«Depuis Bach, tout a été envisagé.» Guitare en main, Cyro Torres donne le ton. Le responsable du blog Music Your Life et de la boutique Guitar Maniac est très clair, «le sample fait partie du rock.» Il joue un accord de gratte puis s'explique : «La musique est universelle, comme les mélodies. Parfois, un artiste va jouer une suite qui sonne bien sans se rendre compte qu'elle existait avant. Si la partition de Stairway To Heaven ressemble à celle de Taurus, l'ambiance et la personnalité des deux morceaux sont totalement différentes.» Le vendeur l'affirme, le rock doit s'inspirer de son passé pour se réinventer. En ce sens, les mélodies vont forcément se répéter.
«C'est un phénomène inconscient, se persuade Cyro. Étant moi-même compositeur dans mes heures perdues, quand je tiens un truc qui me paraît un peu trop bien, je me méfie, ça a sûrement dû être fait.»
Ainsi, le sample et le plagiat seraient des éléments indissociables de la culture rock. Mais qu'en est-il de la créativité chez les artistes ? «Si on veut les forcer à être novateur, on doit sanctionner les groupes pour plagiat» admet Philippe Nicolis, gérant de Sonic Import. Entouré de vinyles, le sexagénaire a été bercé par la guitare électrique. «Toutefois, c'est difficile d'accuser un groupe en particulier, car tout le monde le fait.»
Nirvana, The Police, Guns'n'roses ou même les Stones, tous ont eu recours au sample. «Les musiciens d'aujourd'hui reprennent les rythmiques d'autrefois, c'est un cycle vertueux j'ai envie de dire» avoue Philippe. Cette réalité est présente dans tous les styles de musique, autant dans le rap que dans la pop. «D'ailleurs, si on devait condamner les artistes de blues et de flamenco, ils seraient tous sur le carreau» rigole-t-il, avant d'ajouter : «Eux, ils faisaient toujours la même chose.» Comme un disque bloqué sur les mêmes notes, la musique se répète donc en boucle, puisant dans ses racines pour créer de nouveau. Mais si le plagiat fait partie de cette culture, il reste tout de même illégal.
Led Zeppelin est le troisième groupe de rock à avoir vendu le plus d'album dans le monde (environ 300 millions) derrière les Beatles (750) et les Stones (350)
Le plagiat, qu'est-ce que c'est ?
Si l'on se penche sur la définition juridique, la notion de plagiat s’apparente à celle de la contrefaçon. Ainsi «toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi, est illicite » (CPI, art L 335-3).
Néanmoins, la réalité est bien différente. Mariane Guitard est doctorante en musicologie, la jeune femme est formelle : «Un artiste a beau utiliser la même rythmique et mélodie qu'un autre, s'il change la tonalité (do majeur plutôt que mineur N. D. L. R.), alors il ne sera pas condamné.» De plus, les quatre accords magiques - mi majeur, si majeur, do mineur et la majeur - sont aujourd'hui la base des morceaux actuels, «ce qui atténue encore davantage le fait que tout le monde fait la même chose.»
Bien que les normes en terme de plagiat soient très souples, certains chanteurs ont réussi à se faire attraper par la patrouille. C'est le cas de Robin Thicke et Pharrell Williams pour le titre «Blurred Lines», qui ont du payer 5 millions de dollars d'indemnité aux héritiers de Marvin Gaye.
Alors le plagiat est-il sanctionnable ? Oui, mais seulement si l'artiste reproduit à l'identique, sans même ajouter sa touche personnelle.
ENCADRE / Créer une musique, comment ça se passe ?
Lucas Andrea est le chanteur du groupe de rock Manitou Spirit. Guitariste et compositeur, le musicien de 20 ans avoue s'inspirer de ses idoles (Wes Montgomery, The Doors ou Telephone) dans ses partitions : «C'est évident que nous reprenons des mélodies que nous avons déjà entendu. Dans notre processus de création, on est guidé par les musiques d'autres artistes» confie-t-il.
Pour Lucas, si une mélodie peut ressembler à une autre, plusieurs facteurs rentrent en compte. «Tout dépend de l'interprétation qu'on en fait, de l'ambiance. Innover, ce n'est pas seulement trouver de nouvelles suites d'accord, c'est aussi se les approprier.»
Louis Bouchard