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Vernon Subutex : Liberté ou sécurité ?

On associe souvent nostalgie et dépression. Vivre dans le passé sans profiter du présent, telle est la destinée de ceux qui ne peuvent se résoudre à oublier. Quand on goûte à la drogue de la liberté, au parfum de l’innocence, il est difficile d’en sortir. On est comme prisonnier de ses propres désirs, entouré de barrières qu’on s’est soi-même dressé. Les souvenirs deviennent alors des cicatrices qu’on ne cesse de panser. Si ces stigmates nous définissent, alors pourquoi renier sa vraie nature ? Pourquoi se travestir pour s’adapter ?

 

Virginie Despentes, elle, ne s’est jamais déguisée. Dès son premier roman Baise Moi, en 1994, elle choque. Ancienne punk, bercée à la bière et aux chants communistes (elle connaissait l’Internationale à deux ans), l’auteure a le don de fasciner. Sans filtre, provocante, spontanée, elle aime prendre le contre-pied des dogmes sociétaux. Alors quand elle publie Vernon Subutex, le public s’interroge : est-ce l’histoire de Vernon, ou bien celle de Virginie ? 

 

Car le livre que j'ai eu entre les mains sent autant le tabac froid qu'il ne chuchote le bruit de vinyle. Vous savez, ce petit grésillement quand le diamant touche la platine, et bien c'est un peu ça la vie de Vernon. Un son éphémère et inconstant qui vous hante. Cette musicalité, on la retrouve dans chacune des péripéties du personnage. Chaque rencontre étant la nouvelle piste d'un album. 

 

De son magasin de disques abandonné aux squats parisiens, Vernon Subutex délivre une image sauvage de la capitale. Traîné en dehors de son appartement par les huissiers, le personnage erre seul, sur les bords de la Seine, à la recherche d'un chez lui. Et alors que les choses semblent rentrer dans l'ordre, il trouve le moyen de tout foutre en l'air. Entre coke, sexe et rock'n'roll, chaque nouvelle rencontre sent la poudre. Jusqu'à l'explosion. 

 

Mais comment font-ils pour toujours en faire plus ? Pour toujours dépasser les limites de notre imagination ? Chaque expulsion est une nouvelle histoire farouchement prenante. Et quand tout est en train de s’effondrer, c'est là qu'on a envie de danser. Comme Vernon le dit si bien : "Le diable est bon danseur, sinon personne ne le suivrait sur la piste". 

 

C'est justement la plume de Virginie Despentes qui nous invite à l'insouciance, qui nous laisse croire que tout va bien. Raté. Tout va mal. Mais est-ce si grave ? Deux soirs dans la rue valent-ils une nuit de débauche ? Liberté ou sécurité ? 

 

Romain Duris joue Vernon Subutex dans l'adaptation du roman en série diffusée en 2019 sur Canal +


L'auteure nous laisse l'interprétation. Les étoiles dans les yeux quand il mixe derrière ses platines mais la larme à l'œil quand il n'a rien à manger, Vernon est un sacré paradoxe. Aussi décadent que son époque, aussi instable qu'un solo de rock. 

 

Mais entre la foule et la solitude il n'y a qu'un pas. Et Vernon est une rockstar. Quand il quitte la scène, il se retrouve seul face à ses doutes. Mais quand il y est, c'est tout un monde qui s'émerveille.

 

Pour nous plonger dans l'ambiance des soirées parisiennes, Virginie Despentes glisse quelques pépites musicales, qui immerge le lecteur dans les soirées underground de la ville lumière. Folles, sensuelles et dangereuses, ces nuits semblent avoir été vécues pour être aussi bien décrites. Et alors que Vernon et Virginie ne font qu'un, profitent inconsciemment de l'effervescence, on aimerait se joindre à eux. Puis l'on se rappelle à quel point tout ceci n'est que fiction. 

 

Que ce rock trépidant appartient au passé, que les années 90 ne sont plus. Place aux millenials messieurs dames ! Fini le jazz et le punk, c'est le temps du rap et de l'électro. Mais ça, Vernon ne veut pas l'accepter. Il veut revivre sa jeunesse toute sa vie. Et comme Virginie Despentes le rappelle crûment : "Passé quarante ans, tout le monde ressemble à une ville bombardée". Avant-hier, Eddie Van Halen s'en est allé, et ça, Vernon ne l'aurait pas supporté. Il ne fait que voir un peu plus que son temps est passé. 

 

Et voilà cette nostalgie qui a ouvert l'article. On y est. 

 

Pour autant sommes-nous dépressif ? Non, car heureux d'avoir pu découvrir les aventures d'un homme passionné et passionnant. Cette vie appartient au rêve et à la débauche désormais. Et pourtant, qu'est-ce qu'on a envie d'y croire. 

 

Louis Bouchard